Lorsque la saison est bel et bien terminée, je profite souvent de quelques semaines de répit pour suivre le soleil en direction du Sud. Pour la première fois depuis plusieurs années, cet hiver, je suis resté dans la vallée. En cette période de fêtes, voyant la neige recouvrir le Pic du Midi de Bigorre d’un doux manteau blanc, je me suis souvenu du coup de cœur que j’avais eu il y a longtemps pour la région, qui fit d’ailleurs le même effet à quelqu’un d’autre. Et pas n’importe qui : le Père Noël ! Confortablement installé au coin du feu, j’ai décidé de vous raconter comment et pourquoi il s’est installé dans les Hautes-Pyrénées, il y a quelques temps de cela.
Comme à son habitude, dès les premières gelées, le Père Noël avait enfourché son traineau pour un incroyable voyage autour du monde. Il avait été remplir de cadeaux ses cachettes secrètes. Dispersées aux quatre coins des cinq continents, elles lui permettaient de faire plaisir à tous les enfants en une seule nuit. Parti de sa Laponie natale, il avait décidé de terminer par l’Europe et s’apprêtait à rallier les Pyrénées, dernière étape d’un bien long périple. Alors qu’il survolait le Lac d’Estaing, ses huit rennes étaient fatigués et assoiffés. C’était l’occasion rêvée de leur octroyer une pause. Une fois les animaux désaltérés et ragaillardis, il redécolla en direction de l’Est afin d’aller garnir de présents sa cache bigourdane. Certains murmurent qu’elle serait quelque part sur les flancs du Vignemale, mais nul ne l’a jamais trouvée…
En plein survol du pont d’Espagne, son renne de tête se met soudain à paniquer, effrayé par le drône de l’Office du Tourisme de Cauterets occupé au tournage d’une vidéo promotionnelle. Le traineau décrit une grande embardée. Lorsque le Père Noël en reprend le contrôle, il est trop tard : il a complètement dévié de sa trajectoire. Le voici bien trop près du sol ! Ses rennes à bout de souffle, il tente de passer au travers de la brèche de Roland. Au sortir du virage, l’arrière du patin droit de son traineau heurte violemment la falaise et c’est l’accident. Il valdingue dans la poudreuse avec ses rennes et toute sa cargaison de cadeaux !
Heureusement indemne, le Père Noël se relève et s’essuie les yeux. Il aperçoit ses fidèles compagnons qui galopent au loin et comprend qu’ils ne reviendront pas. Trop apeurés, ils ont repris la direction de la Laponie pour retrouver leur écurie. Dépité, il contemple son traineau cassé et tous les cadeaux éparpillés dans la neige, ne sachant que faire face à un tel désastre. C’est à ce moment précis qu’il tombe nez à nez avec la plus belle femme qu’il ait jamais vue. Tout de rouge vêtue, elle est l’incarnation de la Mère Noël dont il a toujours rêvé !
En réalité, il s’agit d’une monitrice de ski issue d’une école bien connue dans nos montagnes. Attristée par la scène, elle essuie la grosse larme qui coule sur ses joues rouges, redresse ses lunettes, l’aide à rassembler les cadeaux et lui offre de venir se remettre sur pieds au chaud dans sa maison douillette, à Villelongue, au cœur de la Vallée des Gaves.
Après quelques jours à se reposer et à se remplir la panse de bonnes assiettes de porc noir de Bigorre, de truite des Pyrénées, de fromage de brebis et de tourtes aux myrtilles, le tout arrosé de quelques verres d’un excellent Madiran, le Père Noël était sur pieds mais plus inquiet que jamais pour sa livraison de cadeaux. Il lui restait à peine une dizaine de jours pour terminer sa préparation, faute de quoi il ne pourrait jamais assurer la distribution de leurs étrennes aux enfants de la région. Même si cet infatigable bonhomme avait plus d’un tour dans sa grande hotte, retourner à Rovaniemi chercher ses rennes et ses lutins était tout bonnement impossible. Décevoir les bambins le 25 décembre était inenvisageable pour notre Père Noël, aussi dévoué que courageux, dont les ancêtres avaient brillamment assuré cette fonction depuis des siècles ! Il avait beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, il ne voyait qu’une solution : installer son quartier général en pays bigourdan !
Le temps presse. La première chose à faire est de retrouver des rennes. Plein d’espoir, il se rend immédiatement dans un grand parc animalier à Argelès-Gazost. Hélas, il ne s’agit pas d’une espèce endémique et ils n’y ont donc pas leur place. Pas découragé pour autant, le Père Noël décide alors de se rendre au cœur de la réserve du Pibeste, afin d’essayer d’y trouver un autre animal robuste et courageux pouvant remplacer ses fidèles compagnons. Il y rencontre une harde d’isards motivés, dont les membres les plus charpentés acceptent avec enthousiasme de relever cet incroyable défi. L’attelage est à présent complet, il ne manque plus que les lutins, indispensables à la fabrication et à la distribution des cadeaux. Son hôte conduit le Père Noël jusqu’en pays Toy où la chance semble décidément lui sourire : il y trouve les plus plaisantins et travailleurs qu’il n’ait jamais eus !
L’heure de la distribution approchant à grands pas, il était temps d’atteler les isards et de charger les cadeaux. À ce moment précis, il réalisa que son traineau n’était toujours pas réparé. Or, il était bien trop tard. Familles et amis étaient déjà réunis autour des préparatifs du réveillon. Plus personne ne pouvait l’aider. Il allait donc échouer à deux pas du but et tout ça pour une stupide histoire de patin cassé. Dépité, le Père Noël s’assit au bord du pont de Tilhos. À ce moment-là, il vit apparaître un camion gris tout d’orange et de bleu décoré, sur le flanc duquel on pouvait lire « Tom Rafting ». Il lui vint alors une ultime idée !
Quelques minutes après, il débarquait tout essoufflé à la base, accompagné d’une bonne vingtaine de lutins Toy. Très surpris par son arrivée, je me suis carrément demandé si Pierre n’avait pas réussi à programmer ZZ Top à Fest’Isaby ! Avant même qu’il ait terminé son incroyable récit, j’étais fermement décidé à l’aider par tous les moyens possibles. Le plus grand de nos rafts pouvait avantageusement remplacer son traineau. Malheureusement, la première tentative de décollage de cet attelage original se solda par un énorme échec, en dépit de la bonne volonté manifeste de nos isards. Entre le poids du bateau, celui des cadeaux et le quintal que devait atteindre le Père Noël à qui la gastronomie de la région avait visiblement bien profité, impossible faire parcourir à ces formidables ongulés pyrénéens plus de quelques centaines de mètres sans courir à la catastrophe. Il nous fallait nous rendre à l’évidence : les seules à pouvoir encore sauver Noël étaient les Licornes du Gave de Pau. Heureusement, la réserve de cookies pailletés n’était pas totalement épuisée. Une fois appâtées, elles se montrèrent absolument ravies de nous aider.
C’est ainsi que, durant cette incroyable nuit du réveillon, le Père Noël survola les sublimes paysages des Hautes-Pyrénées dans un raft volant tiré par un attelage pour le moins hétéroclite. C’est ainsi, aussi, qu’il tomba amoureux de ce coin de pays, ses vallées, ses gaves, ses sommets et ses lacs, du Hautacam, du Cabaliros, du Bergons, du Cirque de Gavarnie et, bien évidemment, d’une superbe monitrice de ski. Au point, comme d’autres avant lui, de décider de s’y installer.
Si vous venez faire du raft en été, il n’est pas impossible que vous le croisiez, mais inutile d’essayer de le démasquer, il n’avoue jamais sa véritable identité et s’est même choisi un prénom d’emprunt depuis que j’ai écrit son histoire !
Même si cette aventure est restée durant bon nombre d’années un secret bien gardé, nous en avons tout de même constaté quelques effets collatéraux… Nos moniteurs semblent avoir décidé de lancer le concours de la plus longue barbe et les licornes du Gave font quelques incursions remarquées dans la réserve du Pibeste pour aller dire bonjour à leurs anciens coéquipiers !
FIN