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Madagascar, 3 jours en pirogue sur la Tsiribine

En mars 2017, après une saison hivernale passée à faire du rafting à La Réunion, j’avais envie de prolonger mon séjour dans l’océan Indien et suis donc parti pour un mois à Madagascar.

À mon arrivée, un fort cyclone était annoncé dans l’est, où j’envisageais de passer les premiers jours. J’avais déjà entendu parler de descendre la Tsiribine (située à l’ouest) en pirogue et l’arrivée imminente de cette tempête m’a décidé à mettre ce projet à exécution.

 

Me voici parti pour la ville de Miandrivazo. Dans la rue, je rencontre deux hommes qui organisent divers voyages sur le fleuve. Le tracé qu’ils me proposent fait 90km de long. En principe, seul le guide pagaie, placé à l’arrière de la pirogue. Pagayer, c’est quand même mon métier, et sans doute l’une des choses que je fais le mieux. Il est hors de question pour moi de m’en priver ! Je leur demande donc une seconde pagaie. Heureusement, ils acceptent ! Après une nuit d’hôtel, ils viennent me chercher et m’emmènent au poste de police, afin de signaler mon prochain départ. Je paie une vingtaine d’euros sans bien comprendre pour quel motif, mais l’aventure est bien trop tentante !

Les guides ont prévu une poule (vivante), ainsi que de la viande de zébu afin de nous sustenter durant le voyage. Étant végétarien, je veux bien transporter la poule en tant que passagère dans la pirogue, mais je les informe que je lui rendrai sa liberté dès que possible. Je crois qu’ils préfèrent la garder pour eux, car ils finissent par la reprendre et me trouver des œufs !

Nous allons acheter des bouteilles d’eau potable et les guides me conseillent de faire une bonne réserve de bonbons à distribuer aux enfants que nous croiserons le long de la rivière.

Je suis tout excité à l’idée de partir à l’aventure tout seul, en pirogue et avec mon propre guide, alors que ce voyage se fait bien plus souvent en groupe et en bateau à moteur !

Arrivés au bord de la Tsiribine, je fais la connaissance de Tafita, qui m’accompagnera durant les 3 jours à venir ! Chaleureux, souriant et amical, il semble âgé de 30 à 40 ans.

Nous chargeons les victuailles et les affaires (dont mon bagage, emballé dans un sac poubelle en guise de protection étanche) dans la pirogue. Il s’agit en fait d’un tronc taillé, plus large à l’arrière qu’à l’avant. Mes deux hanches touchent les côtés. Je suis assis sur une sorte de mousse recouverte de cuir et pliée de manière à ressembler autant que possible à un siège. J’ignore encore que ce sera aussi mon matelas pour les deux prochaines nuits !

C’est parti !! Je commence à faire connaissance avec Tafita. Il parle français, ainsi qu’un dialecte malgache (il en existe 18). Après m’avoir expliqué comment saluer dans leur langue les personnes que nous serons amenés à croiser au cours de notre périple, mon guide me montre quelques espèces d’oiseaux locaux. Je sens qu’il est habitué à tout faire tout seul. Nous nous arrêtons rive gauche où plusieurs habitants creusent le sable pour dégager un canal leur permettant de drainer l’eau du fleuve jusqu’à leurs cultures. Tafita leur échange du charbon de bois contre quelques braises ardentes, qu’il enferme dans le bas d’un réchaud métallique, qu’il installe ensuite entre ses jambes.

Nous repartons et je l’entends commencer à cuisiner tout en pagayant ! L’huile frit et ça commence à sentir bon ! Je suis curieux et j’aimerais bien me retourner, mais je ne peux pas me permettre de risquer de renverser la pirogue. Je donne donc de discrets coups d’œil et je le vois peler des pommes de terre, qu’il fait rôtir et dont il jette les épluchures dans l’eau.

Environ 1h30 plus tard, nous nous arrêtons sur la berge. Pendant qu’il termine le repas, il m’explique que je peux me baigner un moment, car le fleuve est peu profond dans cette zone et qu’il n’y a pas de crocodiles. Peu rassuré par cette eau sablonneuse à travers laquelle on ne voit pas grand-chose, je nage en restant vigilant ! Il faut dire que la chaleur est littéralement écrasante et qu’après des heures de navigation en plein soleil, j’en avais vraiment besoin. L’ignorance a parfois du bon ; en fait, le nom du fleuve, « Tsiribihina » est issu du terme « Tsi Robohina », qui signifie « où l’on ne plonge pas ». Difficile de faire plus clair !

Tafita tend une bâche en plastique à l’ombre d’un petit arbre et y dépose couverts en inox et assiettes en porcelaine ! Je souris en me disant que personne n’utiliserait ceci chez nous, de peur de les casser durant le trajet ! Le repas est délicieux ; je suis abasourdi qu’il soit parvenu à cuisiner autant de si bonnes choses tout en ramant… Nous conservons les restes et repartons sur le fleuve.

 

Après environ 3 heures, nous approchons d’un village inaccessible par la route. Au loin, nous devinons deux enfants qui jouent au bord de l’eau. Au moment où nous accostons, il y en a près de 15 ! Alors que j’ouvre mon paquet de bonbons pour leur en offrir, les enfants sautent dessus et m’arrachent tout des mains ! Puis, ils nous aident à monter les sacs au village, qui se trouve tout près. Je sens rapidement que tous les regards se tournent vers moi. Tafita, qui a visiblement quelque chose à organiser pour la nuit, m’invite à rester avec les enfants. Ils ne parlent que quelques mots de français ; nous passons donc un moment à nous regarder, puis organisons un concours de grimaces et tentons de communiquer par des mimiques et en faisant des dessins dans le sable ! Ils rient beaucoup en me voyant gesticuler pour essayer de me faire comprendre ! Dans le village, au contraire des enfants, les adultes sont assez indifférents à ma présence et ne cherchent pas le contact. Tafita revient ; il apporte du miel issu d’abeilles sauvages, que les locaux récoltent en pleine forêt directement dans les essaims. La cire de ses rayons est presque noire et c’est le meilleur miel que j’aie mangé de ma vie !

Tafita décide de donner les restes de notre repas de midi aux enfants. Il les fait asseoir en demi-cercle puis pose la gamelle sur le sol. C’est la cohue : les grands poussent les petits et tous se battent pour manger. En moins de 30 secondes, tout est englouti. Cette scène m’inspire une certaine tristesse, surtout quand je vois les plus petits pleurer parce qu’ils n’ont pas réussi à obtenir le moindre grain de riz. Je réalise aussi que la vie peut être très différente selon l’endroit de la planète où l’on naît. Je n’avais jamais vu des enfants se battre pour manger. Cette scène est encore très présente à mon esprit, tout comme je me souviens des sensations désagréables que j’avais éprouvées sur le moment.

Parti en promenade dans le village, je parviens à acheter une petite bouteille en plastique contenant du rhum à deux jeunes femmes. De quoi boire un petit verre sous les étoiles avec Tafita un peu plus tard dans la soirée !

 

Durant notre dîner, cuisiné par Tafita, les enfants sont assis près de nous et nous regardent manger. Alors qu’il me propose de me resservir, je n’ai que trop conscience de leur présence autour de moi et de leurs estomac bien vides et pas du tout le cœur à manger plus que le strict nécessaire. Tafita s’organise différemment, sans doute parce qu’il souhaite autant que moi éviter de réitérer la scène du midi. Il fait asseoir les filles d’un côté et les garçons de l’autre, partage les restes et sert les deux groupes séparément. Même si les grands mangent plus que les petits, les enfants sont plus calmes et tous obtiennent au moins quelques bouchées. À la nuit tombée, après avoir dégusté notre petit rhum sous les étoiles, nous allons nous coucher tous les deux dans une tente.

 

Le lendemain, j’ouvre les yeux vers 6h du matin. Tafita est déjà affairé à la préparation du petit déjeuner. Alors que le jour se lève à peine, les enfants reviennent et tentent de m’apprendre des danses locales. Je crois qu’ils se moquent quelque peu de mes déhanchés mais qu’est-ce qu’on rigole ! Nous repartons assez tôt et ramons environ 4h. Nous voyons de petits crocodiles et des caméléons sur les rives. La rivière est large et lisse et le débit élevé. Soudain, le ciel s’obscurcit et de forts vents se lèvent, nous forçant à descendre en longeant la berge au plus près. Une ambiance étrange règne autour de nous. Après coup, j’apprendrai qu’il s’agissait du cyclone annoncé. Faisant rage dans l’est de l’île, il entrainera hélas la mort de plusieurs dizaines de personnes. Alors que je n’ai aucune conscience de ce qui se passe, ma famille et mes amis, restés en France, sont très inquiets à mon sujet. Ce n’est qu’en rallumant mon téléphone portable, à la fin de la descente, que je m’en rendrai compte.

En milieu de journée, nous nous arrêtons dans un nouveau village, bien plus grand que celui de la veille. Immédiatement, un groupe d’enfants vient à notre rencontre. Tafita m’invite à aller me promener pendant qu’il prépare le repas et propose aux enfants de me faire visiter les lieux. Nous nous arrêtons dans une épicerie où j’achète un grand sac de bonbons. J’ai à peine le temps de me retourner qu’ils m’arrachent tout des mains. Décidément !

Nous croisons un instituteur qui m’emmène visiter son école. Elle se situe dans une case en briques divisée en 4 classes avec des bancs en bois et 1 tableau noir dans chaque salle. Il en est très fier. Je rejoins Tafita pour le repas. Nous assistons à la toilette des villageois, qui viennent tous se laver nus dans la rivière. Conscient d’être plutôt sale après des heures à naviguer, je décide de faire de même. J’entends encore les rires des autochtones à la vue de mes fesses bien blanches de petit européen !

Après un délicieux repas, nous repartons pour un après-midi de navigation jusqu’au village où Tafita a grandi. Sans doute dans le but de me rassurer, il m’informe du fait que l’on y trouve un hôpital. Lorsque je vois le petit bâtiment blanc dont il s’agit, avec une façade à moitié écroulée, je réalise que cela ne doit pas changer grand-chose qu’il y en ait un. Heureusement que tout s’est bien passé jusqu’ici ! Nous nous dirigeons vers le centre et mon guide m’informe qu’il y aura une fête plus tard dans la soirée, regroupant 3 villages du coin. La place principale est déjà pleine à craquer ! Je me sens très observé, c’est quelque peu oppressant. Lorsque Tafita doit s’absenter, je réalise qu’il demande toujours à quelqu’un de veiller sur moi. Je ne me sens pas vraiment en danger, mais je ressens une certaine pression car plusieurs personnes me touchent ou m’attrapent, parfois de manière assez brusque et pas forcément prévisible.

Divers groupes de femmes viennent présenter des danses. L’ambiance est bonne, tout le monde applaudit. Puis, c’est l’heure des combats de boxe. Dans une arène, délimitée par le public présent, les combattants s’échauffent en se battant à mains nues. C’est alors que la seule ampoule qui éclairait la place centrale grille ! Plusieurs habitants tentent de rallumer la lumière. Comme ils n’y parviennent pas, tout le monde repart ! Fin prématurée des festivités ! Je dors seul dans la tente cette nuit, Tafita ayant décidé de profiter de notre séjour pour aller rendre visite aux siens.

Le matin suivant, après un petit déjeuner rapide pris dans un café du village, nous partons pour notre 3ème jour de pirogue. Le fleuve s’élargit progressivement (jusqu’à atteindre un delta d’environ 5km de large) et nous croisons des chalands à moteur. Le niveau d’eau est moins profond. Tafita délaisse sa pagaie au profit d’une longue perche qu’il utilise pour pousser notre embarcation en s’appuyant sur le sol. Nous vivons les derniers instants de notre descente, parvenus à proximité du parc national du Tsingy. Après avoir amarré la pirogue sur la berge, mon frère de rivière me conduit dans le petit village de Belo sur Tsiribihina, terminus de notre voyage.
L’heure est déjà venue de se dire au revoir ! Après un dernier verre ensemble, je lui offre une tenue complète (short, t-shirt et casquette) pour le remercier de tout ce qu’il a partagé avec moi durant cette aventure et repars avec ma pagaie artisanale. Bien que rudimentaire et peu ergonomique, elle a eu le mérite de me permettre cette incroyable descente, lors de laquelle je m’en suis mis plein les yeux et le cœur. Alors que Tafita s’en va pour un périple de 10 jours à contre-courant afin de remonter à notre point de départ, je me dirige vers de nouvelles et magnifiques aventures dont j’ignore encore tout, mais ça, c’est une autre histoire !